# 343 Le grand feu, Léonor de Recondo
Quand Laëti m'offre un livre, elle demande conseil à mon ami libraire Philippe (Les vraies richesses) et il y a toujours une anecdote dans la façon dont le choix s'est opéré : même quand le livre est sérieux, le moment est toujours drôle, d'autant qu'on peut compter sur la spontanéité de Philippe pour des gaffes régulières - la meilleure à ce jour étant la fois où il a demandé à la petite amie du père de ma fille si elle était ma sœur jumelle. J'en ris encore.
Parmi les deux romans que contenait le paquet cadeau il y avait Le grand feu de Léonor de Recondo et même si la couverture austère des éditions Grasset barré du ruban rouge censé la rendre plus attrayante pour annoncer les nouveautés (je trouve l'effet vraiment raté) n'est pas des plus engageante, le résumé me plait immédiatement : au début du 18ème siècle, à Venise, Ilaria Tagianotte est placée en internat à la Piéta pour devenir musicienne.
Outre ses qualités littéraires indéniables, ce qui fait la réussite de ce roman c'est l'équilibre entre la fiction et les faits historiques : Vivaldi, Galilée, Venise sont présents sans toutefois prendre le dessus - c'est particulièrement vrai pour le personnage du musicien qui garde ici son rôle secondaire, tout comme l'atmosphère vénitienne qui reste à sa place de décor. On retrouve cette parfaite maîtrise du dosage dans l'évocation de la musique: malgré son expertise, l'auteure ne tombe jamais dans l'écueil du langage de spécialiste et reste dans le registre émotionnel avec des ponctuations poétiques. Le lecteur ne se sent jamais mis à distance, au contraire au fil de la lecture, on a vraiment l'impression d'être emporté dans une partition d'une intensité grandissante à l'image des chamboulements se produisant à l'adolescence de la jeune Ilaria. En filigrane la narration construite sur le mythe d'Orphée et Eurydice nous porte jusqu'au grand feu, dont le titre tient autant à la chute inattendue qu'au feu intérieur que provoquent parfois l'amour ou la musique.
Grandiose! Et en plus d'un vrai moment de littérature ce livre nous donne envie d'aller à l'opéra...
# 342 Nos étoiles contraires, John Green
Ses amies lui avaient fortement conseillée Nos étoiles contraires mais Emma a mis du temps avant de le commencer car le résumé ne lui faisait pas envie: les histoires tristes la rebutent. Finalement elle l'a lu juste avant l'été et "même si ça parle d'une fille qui a un cancer c'était vraiment trop cool, il y avait quelque chose qui donnait envie de continuer. En plus l'auteur s'est inspiré d'une histoire vraie donc on rentre dans la façon dont vivent réellement des ados touchés par cette maladie"
Elle a été tellement absorbée par cette lecture que cela m'a donné envie de le lire à mon tour. Effectivement c'est un roman très rythmé avec des personnages crédibles : ils ont une complexité et une profondeur qui permettent d'éviter l'héroïsation très tentante sur ce sujet. De même, John Green ne verse jamais dans le bon sentiment ou pire un dénouement heureux. Et pour cause: il a été confronté à une situation similaire, même s'il ne s'agit pas là d'une biographie. Le seul bémol concerne un passage à Amsterdam, pas forcément utile pour le lecteur mais dont on comprend que scénariser la rencontre entre la jeune malade et un auteur pouvait lui tenir à cœur.
Au final le récit est bien plus axé sur la liberté et avant tout celle d'être soi face à la vie qui n'est pas qu'une pochette surprise remplie de cadeaux... A mettre entre toutes les mains et surtout celles et ceux qui doutent que l'on puisse être acteur de son propre bonheur.
Je m'aperçois que j'écris désormais régulièrement sur les livres "pour jeunes adultes" comme je le faisais pour la littérature jeunesse quand elle était enfant, en essayant autant que possible de croiser mon point de vue avec celui d'Emma. Vous retrouverez donc désormais ces posts dans la catégorie éponyme!
# 341 Le Pays aux longs nuages, Christine Féret-Fleury
Emma m'offre souvent un livre: c'est un cadeau qui me fait toujours plaisir parce que la lecture est vraiment une passion mais aussi parce qu'elle prend le temps de m'expliquer ce qui a guidé son choix. Ma fille se fie à son instinct: Le pays aux longs nuages l'a attirée par sa première de couverture colorée, le macaron "sélection prix du meilleur roman" et le "joli titre". Elle a été ensuite convaincue par le résumé "quand j'ai vu que cela parlait de Syrie et d'Italie je me suis dit que c'était parfait pour toi".
J'aime les détails qui président au choix d'un cadeau, ce qui, de moi, a rappelé à l'acquéreur qui j'étais pour lui: aux yeux d'Emma à travers ce présent je suis celle qui rêve d'ailleurs et qui s'indigne encore face à la géopolitique.
Bon et ce livre alors? C'est un "feel good book" qui raconte le croisement des chemins entre une Syrienne et une Italienne, les deux sont à leur manière en fuite et trouvent un havre de paix chez une vieille femme un peu revêche. A travers la cuisine, elles vont toutes les trois faire le deuil de leur passé pour renaître à la vie. Les ficelles sont un peu grosses et les personnages manquent de nuance, je dirais que c'est dans la même veine que La Tresse : une lecture facile (accessible dès l'adolescence) et efficace, qui ne laisse pas un souvenir impérissable mais qui rappelle qu'un nouveau départ est toujours possible.
# 340 Canal Mussolini, Antonio Pennacchi
C'est un livre que mon père a offert à ma sœur, vu sa densité il était parfait en lecture de vacances! Il a donc traversé l'atlantique et un peu souffert dans le sac à dos…
A travers la saga familiale des Peruzzi, Antonio Pennacchi raconte l'exode massif de milliers d'Italiens du Nord vers l'Agro Pontino au sud de Rome pour en faire un territoire agraire fertile. A travers la construction du Canal Mussolini puis des villes nouvelles, le narrateur nous fait vivre la montée du fascisme, la mise en scène de son totalitarisme ainsi que son déclin. Le narrateur est un des petits-fils de cette famille dont on devine largement l'inspiration autobiographique. Ce parti pris narratif peut déranger - la légèreté, le ton souvent burlesque et la justification d'une certaine inconscience des enjeux politiques au regard des situations de survie donne l'impression que l'auteur dédramatise la politique mussolinienne, d'autant que le narrateur interpelle souvent le lecteur de façon provoquante - un procédé malaisant et mal intégré dans un récit pour le reste très fluide.
En revanche, le point de vue sociologique du roman est passionnant: à travers plusieurs générations, les passions individuelles et les questions sociales se mêlent dans une fresque locale riche d'enseignements sur les traditions et le mode de vie de la population. J'y ai trouvé un intérêt personnel, le nombre de personnages ne m'a pas perturbée, bien au contraire: j'avais l'impression d'être plongée dans l'arbre généalogique de ma famille calabraise, dans laquelle il m'est toujours difficile de distinguer les nombreuses Teresa, Philomena et Vincenzo!
# 439 Hôtel de la Folie, David Le Bailly
(Collaboration commerciale - ce livre m'a été offert par Babelio)
J'avais beaucoup aimé le premier roman de David Bailly L'autre Rimbaud alors quand Babelio m'a proposé de m'envoyer Hôtel de la folie, je n'ai pas hésité à accepter cette collaboration.
Au départ j'ai été un peu déconcertée par la forme interrogative très présente avant d'entrer pleinement dans l'enquête que mène l'auteur-narrateur sur la vie de sa grand-mère italienne Pia Nerina. Convoquant ses souvenirs et des recherches d'archives, il met à jour les mystères entourant sa famille et sort peu à peu de l'amnésie probablement salvatrice au sujet de son enfance. Isolé, tenu à l'écart du monde, on comprend au fur et à mesure des chapitres le poids des non-dits familiaux sur son éducation. L'auteur réussit à transmettre à la fois la reconnaissance qu'il doit à la présence sécurisante de sa grand-mère adorée mais aussi la part de doute hérité du mystère qu'elle a savamment entretenu sur son véritable grand-père. Des contradictions sur lesquelles il a du se construire, face à une mère totalement absente, sinon physiquement au moins affectivement - dès lors on attend avec impatience la suite de cette saga familiale avec justement un roman sur celle-ci! En filigrane elle apparait comme le rouage essentiel de cet "Hôtel de la Folie" dont David Bailly semble s'émanciper au fur et à mesure qu'il parvient à le nommer.
# 438 40 points de vue (littéraires) sur... Sarah Bernhardt, Emma et Julie Anders
Avant de partir en vacances, une recommandation d'exposition: "Sarah Bernhardt, Et la femme créa la star" au Petit Palais (jusqu'au 27 août 2023) retrace la vie de l'artiste que je connaissais surtout de nom (merci Lucky Luke!). Quant à dire plus précisément qui elle était et ce qu'elle avait fait... Cette rétrospective très réussie appréhende à la fois la personnalité et l'œuvre de Sarah Bernhardt dans toute sa diversité. On déambule le long d'un parcours bien pensé nous permettant d'entrer dans son monde et j'ai apprécié qu'il y ait peu de supports audio-visuels (dans beaucoup de scénographie, ils me mettent trop souvent à distance du sujet plutôt que de m'en rapprocher).
A la fin de la visite, de passage par la boutique éphémère, spontanément, il m'a offert un livre intitulé "40 points de vue littéraires sur Sarah Bernhardt"* qui prolonge parfaitement cette exposition en illustrant la fascination mais aussi la désapprobation qu'elle a suscitées chez ses contemporains - attention, il s'agit d'un fascicule regroupant des textes, sans aucun commentaire ou approche critique, de sorte que si vous n'êtes pas familier de son histoire, il sera difficile d'accès. Pour moi cela m'a surtout incitée à lire certains des auteurs qui témoignent car la Belle Epoque est une période artistique que j'aime beaucoup.
* il semble que ce soit une collection autoéditée, j'ai beaucoup de mal à trouver des informations sur leurs autrices.
# 437 L'été diabolik, Thierry Smolderen, Alexandre Clérisse
Une fois n'est pas coutume, une recommandation de roman graphique. Ma sœur* adore en lire, elle est de très bon conseil, malheureusement à quelques exceptions près, je n'accroche pas toujours à ce genre: j'accorde plus d'importance à ce qui est écrit qu'aux dessins, ce qui fait que je loupe une grande partie du procédé narratif propre à ce format.
Allez savoir pourquoi la couverture bleue électrique m'a soudain attirée: cela fait des mois que L'été Diabolik est dans ma bibliothèque et je ne l'avais jamais ouvert.
J'ai tout de suite accroché au graphisme coloré et rétro, au second degré de l'intrigue, aux dialogues qui nous replongent dans l'univers de la fin des sixties. Derrière ses airs de thriller, j'y ai surtout vu un hommage à une époque qui fut celle de l'adolescence du scénariste, parodiée par le dessinateur plus jeune, de sorte qu'on lit les tribulations du jeune Antoine lors de cet été 1967 un peu comme on regarde OSS117 version jean Dujardin...
*Je pensais d'ailleurs que l'album appartenait à Marie, visiblement non donc si son propriétaire se reconnait, qu'il se manifeste!
# 436 Divergente, Veronica Roth
Hier Emma m'a avoué qu'elle avait terminé Divergente à 2 heures du matin, qu'elle voulait absolument en connaître la fin et qu'elle avait avait mal à passer à autre chose après cette lecture prenante. Depuis deux semaine je la vois plongée dans la trilogie dystopique de Veronica Roth avec une telle addiction que je lui ai demandé si elle voulait bien écrire quelques lignes sur ce roman pour que je le recommande.
PS: A son initiative, elle n'a vu les films qu'une fois chaque tome lu.
# 435 Tante Alice enquête : le bonheur est dans le crime, Ali Rebeihi
Lorsque Nicolas Demorand a consacré sa chronique "80 secondes" sur France Inter sur le premier roman d'Ali Rebeihi, il a piqué ma curiosité : en général j'apprécie ses coups de cœur et comme j'allais chez mes parents peu de temps après, cette recommandation tombait à point nommé pour l'offrir à ma mère qui aime le genre policier. Comme à mon habitude, je l'ai lu avant de le lui donner.
En l'achetant, j'avais un petit doute sur la partialité de l'avis, l'auteur animant l'émission quotidienne Grand bien vous fasse sur la même chaine de radio et je trouvais un peu rapide la publication des critiques également très positive sur Le Monde et L'Obs. On connaît l'entresoi du milieu mediatique...
Malheureusement ma crainte s'est confirmée: si Le bonheur est dans le crime se lit très facilement, il a malheureusement les travers que le titre et la couverture laissaient présager. C'est un roman feel-good sans profondeur avec un personnage principal auquel on ne s'attache pas et des protagonistes secondaires superficiels. Faute de subtilité, la pseudo-intrigue ne prend pas: non seulement le meurtre arrive trop tard (alors qu'il est annoncé dès la première page) mais en plus faute de subtilité, le suspense n'émerge jamais. Résultat: je n'ai pas spécialement envie de retrouver Tante Alice dans un autre roman.
Il reste quelques points positifs: c'est un roman très facile à lire, parfait pour ceux qui cherchent une lecture légère pour la pause estivale ou à partager en famille car son style le rend très accessible aux jeunes lecteurs. Et puis, il se situe dans un village fictif proche de la forêt de Fontainebleau, ce qui m'a au moins permis de me projeter tellement ce lieu est plein de jolis souvenirs pour moi depuis trois ans!
PS: Ma Maman partage mon avis: "Ce n'est pas le livre de l'année, petite intrigue mal menée, on a l'impression de prendre un thé chez une vieille tante (des scones, des sablés et du thé à tous les chapitres)"
# 434 Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi
Lorsque le prix France inter 2023 a été attribué à Mathieu Belezi pour son roman Attaquer la terre et le soleil, je l'ai immédiatement acheté pour mon père qui s'intéresse beaucoup à la guerre d'Algérie et comme à mon habitude je l'ai lu avant de le lui offrir.
Mathieu Belezi nous plonge dans l'épopée sociale que fut la colonisation de l'Algérie au 1ème siècle, en alternant deux voix: celle de Séraphine dont l'espoir d'une vie meilleure s'est immédiatement brisé face à l'enfer dans lequel elle est plongée dès son arrivée et celle d'un soldat d'un régiment mené par un capitaine sans scrupule et qui, au nom de la mission de l'armée française pille, viole et massacre la population algérienne.
Scandant "Sainte et sainte mère de Dieu" et "nous ne sommes pas des anges" dans chacune des narrations, d'une écriture dépourvue de ponctuation et de majuscule, l'auteur parvient à impulser dès le premier chapitre un rythme dramatique implacable. Comme les protagonistes, les lecteurs sont précipités vers la catastrophe, dans un enfer de violence et de conditions climatiques extrêmes et dans l'incapacité d'arrêter l'engrenage.
Parvenir à lier ainsi le lecteur, les personnages fictifs et l'Histoire dans un même mouvement relève d'une grande maîtrise d'écriture et d'un sens profond du romanesque. Je ne connaissais pas cet auteur et j'ai hâte de lire d'autres écrits de lui.
Mon père a adoré, ma mère l'a lu en une journée et voici ce qu'elle en dit:
"Un livre qui laisse une impression de sable et de terre dans la bouche, de chaud sec et humide à la fois sur la peau, de brutalité subie et de résignation"