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4 septembre 2017

# 201 Les dieux ont soif, Anatole France

Je n'avais jamais lu de romans d'Anatole France et j'ai téléchargé celui-ci après avoir lu la très controversable note de lecture de Paul-Marie Couteaux à Marine Le Pen. Cette lettre décrit les livres que Marine Le Pen et ses collaborateurs devraient lire - ou connaître - pour avoir un vernis culturel qui fasse illusion. Que ce soit très clair: non seulement je n'approuve pas la méthode - on est vraiment dans la superficialité la plus totale, dans l'impératif d'efficacité que j'abhorre. La culture fait pour moi partie de ces choses qui demandent du temps, de l'investissement personnel, de la curiosité, des rencontres; elle se construit, elle s'échange, c'est une part de soi qui ne peut pas être volée ni réduite à une liste d'auteurs qu'il faut avoir lus. Pour autant, la culture est un apprentissage, et certains cursus que j'ai moi-même suivis s'attachent à nous apprendre à construire cette culture personnelle et générale. La culture est un voyage, pas un paquet cadeau que l'on reçoit. J'approuve encore moins le fond: Paul-Marie Couteaux indique à Marine Le Pen les ouvrages qui font référence dans sa lignée politique ou qui au contraire adouciront son programme national-populiste. On ne peut pas lui reprocher de ne pas être dans l'air du temps, mais je trouve cela affligeant. On ne retiendra de cette note que certains auteurs, en se passant de la justification, et le dernier paragraphe, qui est finalement du simple bon sens.

Les-Dieux-ont-soif

Les dieux ont soif me semblait un bon écho à l'essai d'Eric Hazan sur la Révolution française que je projetais de lire ensuite. Que le personnage principal s'appelle Evariste a été une première bonne surprise, réveillant un joli souvenir de lecture. Et puis page 22 j'ai été définitivement conquise par la poésie de l'écriture:

"Evariste la regarda de cet air sombre qui mieux que tous les sourires exprime l'amour." 

A travers le destin d'un jeune peintre parisien épris des idéaux révolutionnaires, Anatole France raconte les heures sombres de la Révolution Francaise. Aveuglé par son engagement politique, Evariste Gamelin devient un des rouages de la Terreur, alors que débute son histoire d'amour avec Elodie. C'est à la fois un roman psychologique sur les choix de vie et un véritable essai sur le fanatisme. Les références mythologiques, les personnages secondaires très réussis (chacun représentant une "voix" de la Révolution), la maîtrise novellistique de la tension pour souligner l'escalade de la violence: tout concourt à expliquer les mécanismes d'engrenage du pouvoir dictatorial.  

J'ai évidemment adoré l'esthétisme de l'écriture d'Anatole France, qui se rapproche parfois d'un Mauriac avec qui il partage au moins la distinction d'être un des auteurs cités dans la liste des Meilleurs romans du demi-siècle (1900-1950)

La voiture disparut. Le trouble d'Evariste se dissipa; mais il lui restait une sourde angoisse et il sentait que les heures de tendresse et d'oubli qu'il venait de vivre, il ne les revivrait plus.

Il passa par les Champs-Elysées, où des femmes en robes claires cousaient ou brodaient, assises sur des chaises de bois, tandis que leurs enfants jouaient sous les arbres. Une marchande de plaisirs, portant sa caisse en forme de tambour, lui rappela la marchande de plaisirs de l'allée des Veuves, et il lui sembla qu'entre ces deux rencontres tout un âge de sa vie s'était écoulé. Il traversa la place de la Révolution. Dans le jardin des Tuileries, il entendit gronder au loin l'immense rumeur des grands jours, ces voix unanimes que les ennemis de la Révolution prétendaient s'être tues pour jamais. Il hâta le pas dans la clameur grandissante, gagna la rue Honoré et la trouva couverte d'une foule d'hommes et de femmes, qui criaient "Vive la République! Vive la Liberté!". Les murs des jardins, les fenêtres, les balcons, les toits étaient pleins de spectateurs qui agitaient des chapeaux et des mouchoirs. Précédé d'un sapeur qui faisait place au cortège, entouré d'officiers municipaux, de gardes nationaux, de canonniers, de gendarmes, de hussards, s'avaçaient lentement, sur les têtes des citoyens, un homme au teint bilieux, le front ceint d'une couronne de chêne, le corps enveloppé d'une vieille lévite verte à collet d'hermine. Les femmes lui jetaient des fleurs. Il promenait autour d elui le regard perçant de ses yeux jaunes, comme si, dans cette multitude enthousiaste, il cherchait encore des ennemis du peuple à dénoncer, des traîtres à punir. Sur son passage, Gamelin, tête nue, mêlant sa voix à cent mille voix, crai:

- Vive Marat!

Le triomphateur entra comme le Destin dans la salle de la Convention. Tandis que la foule s'écoulait lentement, Gamelin, assis sur une borne de la rue Honoré, contenait de sa main les battements de son coeur. Ce qu'il venait de voir le remplissait d'une émotion sublime et d'un enthousiasme ardent.

 

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