# 327 Le Pays des autres, Leïla Slimani

28 septembre 2020

# 327 Le Pays des autres, Leïla Slimani

Dans ma famille, nous sommes tous des lecteurs et le troc de livres s'est instauré dès que nous n'avons plus habité ensemble. Il a atteint son paroxysme quand je vivais en Angleterre: je vous l'ai sûrement déjà raconté, comme mon père travaillait alors dans la même entreprise de logistique que moi, il me faisait passer des cartons privés par les chauffeurs effectuant les liaisons Montpellier - Paris - High Wycombe. Ces colis pesaient une tonne, ils contenaient quasiment toujours: du vin, du chocolat et des bouquins par dizaines puisque mon cousin, commercial chez un gros éditeur, lui en refilait un stock impressionnant et d'une qualité très variable. On parle d'une époque où les liseuses n'existaient pas, en tous en cas pas en français et je ne remercierai jamais assez la mise en place de ce circuit, vu ma consommation de livres. J'étais donc chargée de ne lui renvoyer que ceux "qui valaient le coup", j'ai fait de belles découvertes mais j'ai aussi lu un paquet de choses franchement mauvaises. Malheureusement je n'ai commencé ce blog que bien plus tard.

Ces chassés-croisés de livres se poursuivent aujourd'hui: les échanges Nord-Sud via le réseau de la petite-descendance lors de leurs vacances chez les grands-parents et entre Marie et moi, il se passe rarement une semaine sans que le stock de l'une ne transite vers l'autre. Inutile de vous faire un dessin, on ne sait jamais où sont les livres, et Le Pays des autres n'a pas fait exception. De sorte que j'ai mis six mois à l'avoir entre les mains (en écrivant ceci je vois tout à fait la mimique de mon père avec la tête qui dodeline fermement "elle est gonflée d'écrire ça, moi j'ai toujours pas récupéré mon dernier Lemaitre pfff").

Ce premier tome d'une saga familiale inspirée de sa propre histoire s'ouvre sur l'expatriation de Mathilde au Maroc. Elle a vingt ans et elle y rejoint Amine, rencontré en Alsace en 1944 alors qu'il combattait dans l'armée française. Désillusions de la vie conjugale dans un pays qui sombre en plein chaos : sous l'écriture alerte de Leïla Slimani les portraits de femmes prennent vie et elle démontre une nouvelle fois son talent à donner du rythme au récit grace à cette complexité psychologique parfaitement maîtrisée.

J'ai hâte de lire la suite, je trouve qu'elle a vraiment réussi à jongler entre l'héritage historique et personnel et la fiction.

Que le style de Leïla Slimani déplaise, je peux le comprendre, il y a dans son écriture une violence qui ne parle pas à tout le monde. J'ai lu ici ou là des critiques qui me semblent vraiment dépasser ce qui relève de la littérature et je le regrette. Je la pense sincère dans son travail d'écriture et elle-même touchante et authentique. Il faut l'avoir entendue en conférence ou lors de son passage récent dans l'émission C Politique pour ne pas douter de sa place dans la pensée intellectuelle française. Je la trouve brillante.

C'est d'ailleurs dans cette émission qu'elle a dit : "L'amour c'est accepter de vivre dans le pays de l'Autre".

L'exil, ce mot étrange qui nous fait peur et nous attire. Accepter d'être en exil, est ce que ce ne serait pas cela au fond la vraie quête de soi?

Vous avez trois heures puis je ramasse les copies.