Boulevard Alsace Lorraine

Je la croise souvent le matin, sur le trottoir du boulevard Alsace-Lorraine, elle accompagne sa petite fille en sortant son chien. Je suis toujours seule et apprêtée : ces jours-là je viens de déposer Emma à l'école et je me rends au travail. Je ne sais pas quelle maison cette dame habite, la petite fille est devenue une adolescente, le petit toutou a le poil moins blanc au fil des ans, phénomène colorant inversement proportionnel à celui de la chevelure de la grand-mère. Quand je les aperçois au loin, il y a cette émotion toujours intacte depuis 7 ans. Leur complicité rayonne, on sent que ça ne gronde ni ne punit très souvent chez Mamie; elles se sont longtemps tenues par la main, même à l'âge où les petites filles ne veulent plus montrer ce geste affectif dans la rue.
Aujourd'hui je suis allée courir et je l'ai vue à son portail. J'ai lancé un grand bonjour essoufflé auquel elle a répondu avec ce sourire brillant qui ne semble jamais la quitter.
J'ai poursuivi ma route et j'ai pensé à Mémé du Collet à qui elle m'a fait penser dès le premier jour. J'ai avalé les kilomètres suivants dans une rêverie joyeuse et pour la première fois de ma vie j'ai osé. Sur le chemin du retour je me suis arrêtée, elle était encore dehors avec son mari. Je lui ai dit, "je vous ai saluée tout à l'heure, vous ne me connaissez pas mais on se croise souvent le matin et vous me mettez de bonne humeur".
Ils ont souri, très étonnés.
"Vous avez toujours ce visage gai et un regard lumineux, j'aime vous voir aussi heureuse avec votre petite fille, vous me rappelez ma Mémé. J'espère que le confinement se passe bien pour vous".
Hilares ils m'ont confirmés que tout allait bien.
Je crois que ce que je préfère dans cette histoire, c'est son aveu: "je ne vois pas du tout qui vous êtes!". Je suis bien contente que ce moment à 3 soit leur petite bulle et que le reste du monde à cet instant ne compte pas pour elle.