# 323 Comédies françaises, Eric Reinhardt

J'avais hâte de lire le nouveau roman d'Eric Reinhardt: c'est d'ailleurs un de mes premiers achats de la rentrée littéraire!

J'aime son écriture, à la fois érudite, légère, profonde, érotique, d'une finesse humoristique et d'une poésie remarquables. J'aime sa complexité narrative: il maîtrise parfaitement le discours rapporté, les changements de rythme, les mises en abyme...

Comédies françaises porte à son paroxysme cette dextérité, de sorte qu'il est très difficile de le résumer. 

Dimitri est justement un rêveur ou plutôt un hypersensible du réel (mais est-ce vraiment différent?) qui croit au Merveilleux. On le suit à Madrid, à Paris ou encore à Bordeaux dans l'attente active de cet instant exceptionnel qui ferait basculer sa vie: un traqueur d'épiphanies, en somme. C'est la trame du livre et probablement "la poupée russe" que je préfère tant il semble me reconnaître dans cette façon de rêver sa vie. Je garde en mémoire ces quelques pages fabuleuses où le narrateur vit une fiction dans la fiction et où Eric Reinhardt arrive à insuffler un rythme nouvelliste étonnant.

Il est question d'obsessions amoureuses (on rit beaucoup de ses maladresses), mais également de sa vie professionnelle avec un récit très réaliste sur le monde du travail, son expérience dans un cabinet d'influence, et de ses lubies: son envie d'écrire sur Max Ernst et Pollock - avec une nouvelle digression brillante sur l'utilisation de l'Art en politique internationale et bien sûr sa passion pour le théâtre.

Mais la Comédie Française n'est pas qu'une institution du Palais Royal*, au pluriel elle devient le symbole des rendez-vous ratés de l'histoire de France. Là aussi, il y a dans les civilisations des moments-clés - le narrateur est d'ailleurs opportunément né en 1989 : quelle autre date que la chute du mur de Berlin pour parler des points de rupture? Embauché à l'AFP, Dimitri décide d'enquêter à titre personnel sur Louis Pouzin, précurseur d'Internet et Ambroise Roux qui lui barra la route en faveur du Minitel - cette poupée-là n'est pas fictive et se lit comme un documentaire. Lobby, pouvoir et sarcasmes bien sentis envers cette droite qui se veut innovante mais passe à côté de cette transformation majeure...

Les pièces du puzzle narratif s'assemblent et la chute annoncée dès l'incipit est parfaitement alignée avec le leitmotiv de l'instant décisif. Eric Reinhardt manie l'impertinence, le comique et l'audace de bout en bout.

Il y a dans ce roman beaucoup plus de subtilités que ce que je viens de vous écrire, peut-être que pourrais-je simplement ajouter une chose: on se demande parfois ce qu'est la "littérature". Eh bien, Comédies françaises est la parfaite démonstration de ce qu'est la littérature.

Par ses arasbesques, ses adages et ses pas de deux, ce récit m'a fait penser à un ballet de danse contemporaine dont on ne perçoit le sens que dans l'enchaînement et l'écoute de ses intuitions: c'est avec surprise que j'ai lu l'intérêt de l'auteur pour ce thème qui a donné naissance à un court métrage dont l'intitulé suffit à provoquer l'évasion: Je vous emmène. 

 * Depuis son roman Cendrillon je trouve une certaine poésie à cet endroit, à chaque fois que j'y passe je me demande si je vais croiser la silhouette d'Eric Reinhardt à la terrasse d'un café!