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30 juillet 2018

# 236 Un amour d'espion, Clément Benech

"- Tu me conseilles quoi à lire cet été?

- J'avais vu à la grande librairie un jeune auteur Clement Jesaispasquoi. Il m'avait plu."

Avouez qu'avec ces indications, ce n'était pas gagné d'avance, pourtant j'ai immédiatement répondu:

"- Clément Benech! C'est le grand copain de François-Henri Désérable!"

Il faut dire qu'avec Stéphanie déjà on bat tout le monde à plate couture au time's up, j'ai donc de l'entrainement et ensuite même si on n’a pas toujours les mêmes avis, je commence à cerner ce qui est susceptible de lui plaire. Clément Benech, avec son petit air de premier de la classe hyper érudit mais très second degré, eh bien c'est son style. Moi ça serait plutôt son ami (François-Henri si vous avez suivi). Je parle de littérature bien sûr (enfin F.H. si un jour y a de l'eau dans le gaz avec ta Marion, on peut aller boire un verre hein...).

un-amour-d-espion-clement-benech

Le narrateur (Clément him-self) rejoint une amie à New York pour enquêter sur le passé d'un homme roumain rencontré sur Tinder et qui est accusé d'être un "asasin" par un mystérieux internaute. Vous l'avez compris, c'est un roman très ancré dans notre époque qui ne critique pas seulement la virtualité des applications de rencontre et les réseaux sociaux mais aussi notre mode de vie.

Les personnages sont très bien campés, certes parfois un peu caricaturaux, mais cela fonctionne. En revanche je ne les trouve pas assez "incarnés", dans le sens où le narrateur prend parfois trop de place et nous perd dans des détails qui cassent l'action. Le style m'a aussi au départ un peu déstabilisée, on le trouve un brin pompeux, jusqu'à ce qu'en fait j'entre dans le monde décalé et plein de second degré de Clément Benech, notamment grâce à un de ses clins d'oeil très drôle à François-Henri Désérable.

Au final je regrette simplement que ce roman ne sorte pas du cadre de l'action, là où finalement le sujet de fond le permettait: les fantasmes que l'on projette sur l'autre, l'ambiguïté des personnalités, la difficulté à se livrer sont des thèmes qui dépassent la virtualité des échanges d'une application de rencontre (à ce sujet je vous invite à lire la nouvelle La dame de ses pensées de Cécilia Dutter, un texte aussi riche que le sens du mot "pensées" de son titre).

Il n'en reste pas moins que c'est un récit que j'ai vraiment pris plaisir à lire, le bon roman d'été nettement au dessus de la moyenne intellectuelle. Je vous conseille d'écouter ou de lire les interviews de l'auteur au prélable, ça aide à discerner le second degré et l'humour dont il fait preuve ( ou ou encore ici).

Extrait 1:

" Il faut dire que, comme il le lui avait expliqué assez rapidement après leur rencontre, entre vingt et quarante pour cent des mots de vocabulaire roumain proviennent du français (bien que cette origine et ces chiffres fassent débat dans son pays où la question des origines de la nation implique les linguistes parfois à leur corps défendant). Mais sa prononciation, parfaite en anglais, le trahissait dans la langue d'Augusta. Il ne cessait de dire salou au lieu de salut, sans compter certains mots dont il sautait les voyelles comme on aurait coupé une seconde au montage d'un film. Elle se plut à lui faire partager les mystères de la langue française, l'impossible subjonctif imparfait, les trois groupes de verbes qui ne se savent même pas victimes de cette ségrégation, le gérondif des lettre de motivation, le subjonctif des lettres de mise en demeure, le conditionnel des lettres d'amour. L'excitante complexité des subordonnées relatives - dans l'abondance desquelles elle piochait des exemples."

Extrait 2:

"Cependant quand Augusta était prise d'une envie de rendre les armes et de se livrer toute crue, de répondre quand bon lui semblait, quand elle était soudain tentée par cette fiction que l'on appelle le naturel (je n'ai qu'à lui écrire quand j'en ai envie), elle ne manquait pas de se rendre compte juste à temps que cette nostalgie de l'état naturel était aussi un désir d'animalité. Renoncer à son intelligence, et se réfugier dans son désir. C'était aussi mettre de côté toute sa responsabilité, et s'en remettre aux forces aveugles et imbéciles du destin, comme un marin en solitaire au coeur d'une tempête, qui combat à la barre pendant deux jours de suite sans dormir, puis va s'effondrer en cabine le troisième jour et remet sa vie frêle entre les mains des éléments. Certains perçoivent l'humanité comme une chose accablante, et Augusta m'avait déjà laissé comprendre que c'était son cas quand nous avions parlé de psychanalyse, un jour. Il lui semblait que l'erreur de la psychanalyse était de n'avoir pas compris que nous étions fondamentalement des animaux. Pour moi, son génie était justement de l'avoir redécouvert, mais nos discussions sur les viennoiseries en étaient restées à ce stade. Pour autant, dans le contexte qui nous occupe, Augusta comprenait très bien le risque qu'il y avait à céder à sa pente de l'animalité. Comme il paraissait séduisant d'écrire un message dès que l'envie se faisait sentir, de se caparaçonner dans le protocole du désir! Il lui semblait clair pourtant - et elle ne cessait de se le répéter de toute la force de sa raison - que ce qu'il y avait de beau dans une histoire d'amour avait toutes les chances de se situer dans le champ de l'humanité plutôt que dans celui de l'animalité. Que renoncer à la sophistication inhérente aux relation humaines, c'était risquer de se refuser les plaisirs futurs qui lui sont également propres, jeter le bébé avec l'eau du bain."

 

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